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Parlers en migration, langues aux frontières

Les pratiques langagières restituent les dimensions culturelles, sociologiques, politiques, poétiques des parcours de migration. Elles constituent des migralectes qui empruntent à différentes langues (maternelles, tierces, administratives, de la violence ou de la solidarité). Ces migralectes sont co-construits par différentes catégories d’acteurs : les exilés au premier chef, mais aussi les membres associatifs, militants ou de l’administration.

MIGRalect.org est ainsi le nom donné au site rassemblant les parlers de la migration relevés dans les camps, campements et centres d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile entre 2016 et 2021. Des lexiques spécifiques ont été créés pour cinq des principales langues rencontrées sur le terrain des migrations (lexiques persan (FA), pashto (PS), ourdou (UR), tigrinya (TI), arabe (AR) avec différentes variantes) et pour le lexique MIGR qui les rassemble.

À ces lexiques correspond la LINGUA FRANCA - TOUS indiquant les mots passés dans l’usage commun de toutes les langues, par exemple “dougar” issu de l’arabe soudanais désigne tous les ralentissements de véhicules à Calais.

Terrains & méthodologie

Le vocabulaire, relevé au plus près des situations des exilés, dans la région parisienne, aux frontières entre l’Italie et la France (Vintimille, Menton, Briançon), entre la France et l’Angleterre (Calais, Grande Synthe, Douvres, Londres), a permis de constater une lingua franca partagée par les exilés, les solidaires, les travailleurs sociaux, les personnels de justice et administratifs, désignée ici comme migralecte. Le migralecte désigne ainsi les parlers des migrations contemporaines en France, étroitement liés aux politiques migratoires récentes, nationales et européennes, tout autant que les parlers en migration, transformés par l’expérience migratoire. En ce sens, il constitue un état des lieux des termes de la période 2016-2021.

D’emblée, on peut parler de migralectes au pluriel tant ces parlers sont tributaires d’une géographie et d’une démographie particulière :

  • Ainsi, dans le Calaisis, prévaut un lexique du froid, des sous-bois (jungle) et du feu ;
  • Dans la vallée de la Roya ou à proximité du col de l’échelle (Briançon) qui relie l’Italie à la France, les lexiques se chargent d’un vocabulaire de montagne, avec des références topographiques et d’orientation, mais aussi d’un lexique du transit et des stratégies solidaires ;
  • La présence d’une communauté majoritaire, par exemple originaire d’Asie du Sud ou du Soudan, privilégie la circulation d’une langue pivot, respectivement ici le persan et l’ourdou ou l’arabe soudanais.

Voir la carte des terrains

Une base de données lexicale (Okapi - INA) a ainsi été élaborée au fur et à mesure des terrains de recherche. Elle comprend plus de 600 notices, dans le lexique MIGR et dans les lexiques des cinq langues les plus fréquentes : persan (FA), pashto (PS) (avec le pashto pakistanais), ourdou (UR) (avec également l’ourdou pakistanais), tigrinya (TI), arabe (AR) (avec des différenciations possibles en arabe soudanais, syrien, marocain ou tunisien).
Le recensement de ce vocabulaire a été opéré sur la base de deux variables :

  • la fréquence des termes entendus sur les terrains,
  • leur « signifiance ».

Les mots repérés (noms communs, noms propres, interjections, verbes, etc.) sont des mots du langage oral des exilés, entre eux et des tiers. Ne sont répertoriés que des mots ou des expressions et non des phrases. Ils sont recontextualisés dans les phrases où ils ont été repérés.

À partir de la fréquence et de la charge lexicale, un troisième critère est nécessaire pour sélectionner le mot : le consensus de l’équipe multilingue de MIGRalect.org. L’élaboration de la base lexicale est en effet participative, directement liée aux expériences de l’exil.

Politique et violence, mobilité et instabilité

Les migralectes réintroduisent politique et violences au cœur de la langue. Ces lexiques ne servent pas seulement à la communication générale, mais aussi à disposer d’un vocabulaire d’action, aux fins de s’approprier, parfois de déjouer, une terminologie xenobureaucratique ou des situations de violence. Des néologismes sémantiques avec création de sens nouveaux d’un mot existant, des mots codés sont fréquents.

L’hypothèse centrale est que les migralectes ainsi recueillis renseignent de manière anthropologique sur l’expérience du parcours et des interactions en migration. Ces migralectes partagent ainsi certaines caractéristiques centrales, telles que leur mobilité et leur instabilité. De fait, la situation d’urgence ne laisse pas à un système langagier le temps de se stabiliser ; elle le maintient en perpétuelle élaboration et se nourrit des arrivées de nouveaux locuteurs, des changements politiques et juridiques qui influent sur le contexte d’énonciation.

Le migralecte, qui se crée par les contacts et glissements d’une langue à l’autre, date ainsi la période de migration des nouveaux arrivants.

Pour compléter, voir aussi :